Histoire
L'exil de Marguerite De VALOIS
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En 1583, largement compromise dans les querelles religieuses et politiques de son époque, Marguerite De VALOIS doit quitter la Cour de son frère, le roi Henri III, qui la déteste et entamer un long périple au travers du royaume de France.
En 1584, rejetée par sa famille comme par son mari, Marguerite De VALOIS, épouse d'Henri III De BOURBON, prince De NAVARRE, futur roi Henri IV (Calviniste, il combat très âprement les ligueurs), se rapproche des GUISE et rejoint LA LIGUE , qui rassemble aussi bien les catholiques intransigeants que toutes les personnes hostiles à la politique d'Henri III.
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Prenant naissance en Picardie avec le refus au Chef protestant CONDÉ de ses villes reçues par la Paix de Beaulieu en 1576, LA LIGUE ["Sainte Ligue"] réunit sous serment ceux décidés à se battre pour la défense de la foi catholique.
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Ayant pour chef Henri De GUISE, elle se dissoudra après l'abjuration d'Henri IV en faveur de la religion catholique, en 1593. Séjournant depuis 1582 à Nérac à la Cour de Navarre, avec son époux Henri, futur roi Henri IV (nom sous lequel il succédera à son beau-frère Henri III De VALOIS assassiné le 2 août 1589) qui a fui la Cour parisienne , Marguerite y est en danger.
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Après avoir passé plus de 3 ans comme otage à la Cour du roi son beau-frère, il a profité des troubles de la 5e guerre de Religion pour s'enfuir, le 5 février 1576.
Le 19 mars 1585, elle décide de fuir à Agen, ville de son apanage, où elle est sûre de trouver des fidèles, parmi lesquels de nombreux catholiques auvergnats comme François Robert De LIGNERAC, gouverneur d’Aurillac.
L’expérience d’Agen est intéressante car la reine tente déjà d’y instaurer un système politique original, compromis entre celui d’Henri De NAVARRE, une monarchie dans l’orbite protestante, et celui d'Henri III, monarque chef du parti ultra-catholique. Cette tentative s’achève par un échec patent car Marguerite est contrainte de fuir après une révolte des Agenais.
En septembre 1585, Marguerite se réfugie à Carlat, forteresse de Haute-Auvergne qui lui appartient. Ce territoire est largement bienveillant à l’égard de LA LIGUE et Marguerite, en tant qu’héritière des comtes De La TOUR d’AUVERGNE par sa mère la Toscane Catherine De MEDICIS, pense y trouver le soutien de parentèles nobles et d’amitiés ligueuses.
Mais Marguerite tombe malade et le gouverneur de la forteresse entre en conflit avec son amant, l'écuyer Gabriel D'AUBIAC, dit le Bel Athis, qu'elle a nommé capitaine de ses Gardes.
Elle repart au bout d'un an car la situation se dégrade, avec l’arrivée des troupes royales du duc De JOYEUSE, commandées en Auvergne par le marquis De CANILLAC, puissant seigneur de Limagne, qui a enrôlé de nombreux Auvergnats au service du roi.
JOYEUSE, mignon favori d'Henri III et ennemi mortel de Marguerite, joue également sur les liens de parenté qui l’unissent à plusieurs maisons auvergnates, comme les MONTMORIN, pour gagner des fidèles capables de tenir le terrain, en s’immisçant dans les mécanismes claniques locaux.
Ces nouveaux affidés auvergnats sont mis à contribution pour créer des défections dans le camp de Margot.
A l’automne 1586, ne pouvant désormais plus trouver de protection à Carlat, la reine quitte précipitamment la Haute-Auvergne.
La reine passe à PERTHUS le 20 octobre 1586 où le seigneur De CHATEAUNEUF, Jacques De SCORAILLE CLAVIERS devait venir l'attendre ; le rendez-vous ne s'étant pas produit, elle passe l'Allier à gué et se réfugie dans la très inconfortable forteresse d'YBOIS qui lui est proposée par sa mère qui en est propriétaire.
Le capitaine de la Place d'YBOIS est alors le sire De La JONCHIERE.
Mais à YBOIS, Marguerite se retrouve bientôt assiégée par les troupes royales.
Jean V De BEAUFORT-MONTBOISSIER, marquis de CANILLAC, gouverneur d'Usson pour le roi, fait investir la forteresse et s'en empare.
D'après le divorce satyrique, elle y est surprise avec son amant AUBIAC et conduite prisonnière à USSON.
Elle doit alors attendre près d’un mois que l’on statue sur son sort.
Son frère, Henri III, qui l'avait chassée de la Cour et de Paris, décide finalement de l'assigner à résidence dans le château d'USSON.
"Plus je vais en avant, plus je ressens et reconnais l’ignominie que cette misérable nous fait. Le mieux que Dieu fera pour elle et pour nous, c’est de la prendre", écrit-il même.
Sa mère n’étant pas mieux disposée (d’autant qu’elle envisage de remarier Navarre à sa petite-fille préférée), il n’est pas étonnant que Marguerite craigne alors pour sa vie.
Ce changement de lieu met fin à plusieurs semaines d’errance et à partir de 1586, Marguerite est retenue prisonnière "parmy les déserts, rochers et montagnes d’Auvergne" (BRANTÔME).
La reine Margot écrit :
"J'aimerais que vous imaginiez alors la citadelle d'USSON, de pierre noire et froide surgie d'un Moyen Âge tumultueux et violent, une sorte de phare d'Alexandrie en contrepoint, un symbole si contraire aux aspirations spirituelles de la Cour."
En novembre 1586, c’est au château royal de SAINT-SATURNIN [*] autre propriété de sa mère, que Margot apprend la mort de son amant, le beau Gabriel D'AUBIAC, dans des conditions terribles : par vengeance, Henri III a fait arrêter l’amant de Margot qui se trouvait à Aigueperse. Et sur une potence que ses hommes ont dressée sur la place, on l'a pendu par les pieds, la tête en bas ... et sous sa tête, une fosse fraîchement creusée ... pour l’y enterrer encore vivant.
Le puissant château fort royal de SAINT-SATURNIN, construit au XIIIe par les De La TOUR D’AUVERGNE, appartient aux reines Catherine de Médicis, morte le 5 janvier 1589, fille de Madeleine De La TOUR D’AUVERGNE, puis par héritage à sa fille Marguerite De VALOIS (qui en fera don au roi Louis XIII pour l’aider à asseoir son autorité). Lorsque le cardinal de Richelieu décide de démolir ou de raser (abaisser) toutes les forteresses, le château fort royal de SAINT-SATURNIN est épargné.
BRANTÔME dit, dans ses Mémoires :
"Avant son exécution, au lieu de se souvenir de son âme, il baisait un manchon de velours, le seul gage qui lui restait des bienfaits de sa Dame."
Margot est terrassée.
Elle compose un poème à USSON, qui se termine par :
"Cet amant de mon cœur, qu’une éternelle absence Eloigne de mes yeux, non de ma souvenance, A tiré quant et soi, sans espoir de retour, Ce que j’avais d’amour."
Nul doute qu'avec l'ennui qui a dû parfois accabler cette femme habituée au rythme frénétique de la Cour, elle ait eu d'autres amants.
On lui en connaît au moins un :
Le chanteur CLAUDE FRANÇOIS, choriste à la cathédrale du Puy est un amant de passage de Marguerite. Nommé son secrétaire particulier, il aura, grâce au soutien de son ancienne maîtresse, une fort belle carrière.
Comment Marguerite a-t-elle gagné à sa cause la noblesse auvergnate, qui lui a permis de recouvrer son indépendance puis une marge de manœuvre politique en Auvergne et enfin à l’échelle du royaume ? Comment a-t-elle utilisé le contexte de l’Auvergne ligueuse et manipulé les lignages nobles, pour retrouver ses attributs royaux et progressivement transformer sa prison en hôtel aristocratique, puis en cour princière ?
La souveraine joue des récompenses personnelles attribuées à ses serviteurs, qu’elle recrute quand le pouvoir royal fait défaut et quand celui-ci ne rétribue pas les Auvergnats à leur juste mesure.
Fine connaisseuse du terrain local dont elle est la suzeraine, elle use à son profit des mésententes familiales, comme dans le cas du clan des MONTBOISSIER-BEAUFORT-CANILLAC, et des inimitiés internes de la noblesse auvergnate pour gagner des affidés.
La mobilisation des parentèles nobiliaires idoines à des fins politiques est l’outil principal de sa stratégie, comme elle l’a été pour le parti royal dirigé par JOYEUSE.
On peut s’interroger sur les liens qu’un individu était susceptible de mobiliser dans sa parenté, et sur la conscience que pouvaient avoir les familles nobles de former ou non des lignages, capables d’influer sur l’inclination politique des différents espaces auvergnats.
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Quelles étaient les implications politiques de la fonction d’officier de l’hôtel d’une reine exilée ? Quels éventuels bénéfices la noblesse locale a-t-elle pu retirer de sa présence à la Cour d’USSON et en quoi celle-ci, en s’apparentant aux Cours princières médiévales, a-t-elle su renforcer la cohésion sociale, politique et identitaire d’une noblesse provinciale indépendante du pouvoir royal central, absent du pays auvergnat ?
1586-1590. De la prison à l’Hôtel aristocratique
N’ayant pu mobiliser en sa faveur les réseaux nobiliaires de Haute-Auvergne, Marguerite est contrainte de changer d’espace géographique, espérant trouver un accueil plus favorable en Basse-Auvergne et une place forte qui lui appartienne véritablement.
Contrairement à ses attentes, la noblesse locale s’est mobilisée contre elle, en raison de l’influence déterminante du marquis De CANILLAC et de son gendre François De MONTMORIN, seigneur De SAINT-HEREM.
Ils emprisonnent la reine De NAVARRE à USSON, sur ordre d’Henri III et d’Henri De NAVARRE.
Le clan des MONTBOISSIER-BEAUFORT-CANILLAC domine la pyramide nobiliaire des monts d’Auvergne et de la plaine de la Limagne, et il joue un rôle déterminant dans le positionnement politique de ces territoires, sans intérêt stratégique pour le pouvoir central et, de ce fait, relégués en marge de la géographie politique du royaume.
Jean V De MONTBOISSIER-BEAUFORT-CANILLAC et François De MONTMORIN ont fait le choix du service royal dès le début des guerres de religion.
Détenant une immense capacité de mobilisation des principales maisons nobles de la province, dont celles des environs d’USSON, ils permettent, grâce à leur capital d’autorité, que soit exécutée la volonté royale d’emprisonner Marguerite.
C’est grâce à ce soutien local, assis sur les réseaux nobles de voisinage et sur le fonctionnement clanique de la noblesse auvergnate, alors contrôlée par le marquis De CANILLAC au nom de leur suzeraine Catherine De MEDICIS, comtesse d’Auvergne, qu’Henri III et Henri De NAVARRE peuvent parvenir à leurs fins.
Mais les 2 rois perdent leur mainmise sur les Maisons nobles auvergnates, en ne rémunérant pas assez le service qu’elles leur rendent.
Le marquis Jean V De CANILLAC est nommé gouverneur d’USSON, ce qui fait de lui le simple geôlier de la reine.
Il s’agit d’une récompense bien médiocre pour un seigneur de cette envergure, alors même qu’il espérait récupérer le gouvernement de Haute-Auvergne.
Le puissant feudataire est l’héritier d’un lignage qui a servi sans faillir la cause royale depuis le XIIIe.
Or le marquis juge que la rémunération royale est insuffisante pour la capture d’une reine en fuite.
CANILLAC se laisse bientôt approcher par LA LIGUE, sous l’influence des charmes de Margot selon BRANTÔME, mais plus sûrement grâce aux dons substantiels que la reine lui a octroyés le 8 septembre 1587.
Dès février 1587, CANILLAC libère Marguerite, sur demande expresse du duc Henri De GUISE, comme preuve de son adhésion à LA LIGUE et, en échange, il est nommé grand-maître de l’Artillerie du duc De Mayenne.
En vertu du "devoir de révolte", le seigneur se tourne vers le plus offrant, vers le parti qui lui permet d’affirmer son statut au sein de l’échelle nobiliaire locale et de maintenir son autorité sur le terrain auvergnat en lui donnant un poste stratégique, la grande maîtrise de l’Artillerie de LA LIGUE.
La reine De NAVARRE, simple monnaie d’échange pour son geôlier, devient maîtresse de la forteresse et peut désormais engager la métamorphose de sa prison en hôtel aristocratique.
Contre toute attente, Marguerite ne se place pas pour autant dans l’orbite des GUISE.
Bien au contraire, elle construit une stratégie de défense personnelle, l’engageant sur un terrain politique neutre et assez éloigné de LA LIGUE, et reposant sur la domination des réseaux nobiliaires locaux.
Ce qui importe désormais à la Dame d’USSON, c’est d’être en sécurité. Cet impératif catégorique a pour conséquence un certain détachement à l’égard de l’agitation politique environnante.
Il est important pour la reine de le faire savoir à l’échelle provinciale afin que la forteresse d’USSON ne devienne pas un enjeu militaire et symbolique pour les nobles auvergnats.
Pour ce faire, elle intègre à son Hôtel les principaux détenteurs de seigneuries qui enserrent la forteresse. Il s’agit d’un moyen efficace de se préserver physiquement de toute attaque.
Les membres de son Hôtel sont le reflet d’une grande diversité politique car ce qui prime pour la souveraine c’est qu’ils puissent faire de la réunion de leurs seigneuries une sorte de glacis autour d’USSON.
C’est ainsi que les familles De FREDEVILLE, De GIRONDE, De La MER De MATHA et De FLAGEAC, toutes liées par ailleurs de près ou de loin à la nébuleuse MONTBOISSIER-BEAUFORT-CANILLAC, entrent à la Cour de la reine exilée.
Cette politique a été plutôt efficace car, en 1590, la Bataille du Cros-Rolland, qui voit s’affronter les royalistes et les ligueurs auvergnats, tout près d’USSON, se déroule sans référence à la proximité physique de la reine rebelle.
Après l’écrasante défaite des Ligueurs, l’espace auvergnat est moins propice aux affrontements, même s’il faut encore attendre une dizaine d’années pour que l’agitation cesse définitivement.
Henri III De VALOIS est assassiné le 2 août 1589. par Jacques Clément, moine catholique fanatique.
Avant de mourir le lendemain de ses blessures, il reconnaît formellement son beau-frère, le roi Henri III roi De NAVARRE comme son successeur légitime, et celui-ci devient le roi Henri IV De FRANCE. Sur son lit de mort, Henri III lui conseille de se convertir à la religion de la majorité des Français.
La reine Margot parachève alors son autonomie, en renvoyant la garnison qui avait été installée à USSON par son frère.
L'époux de Marguerite, Henri IV, débute son règne par une guerre contre LA LIGUE, mouvement catholique qui refuse un roi protestant. LA LIGUE organise des processions armées lors desquelles les catholiques défilent dans plusieurs villes de France. En 1593, Henri IV décidera de se convertir au catholicisme. Il se fera sacrer à Chartres l’année suivante puis entrera triomphalement dans Paris. Les combats cesseront peu à peu.
Marguerite De VALOIS a ainsi réussi à récupérer la forteresse dans laquelle elle vivra, maintenant libre, durant 19 ans.
1590-1599. De l’Hôtel aristocratique à la Cour princière
"Maintenir son rang et rester en vie" : tel est l’intérêt de cultiver l’héritage auvergnat de Catherine De MEDICIS.
La forteresse d’USSON, l'une des "4 clefs de la Limagne", avec Nonette, YBOIS et Vodable, qui avait servi de prison sous Louis XI, a été donnée à Marguerite de VALOIS par Charles IX lors de son mariage avec Henri IV De NAVARRE, et la donation a été confirmée en 1582 par son frère, Henri III De VALOIS.
C’est en vertu de ce droit de propriété que la reine, d’abord prisonnière, peut ensuite y résider librement en châtelaine.
Désormais seule maîtresse de la forteresse, Marguerite réorganise son Hôtel, qui se mue alors en une Cour princière provinciale.
Pourquoi peut-on désormais qualifier de Cour le système de sociabilité qui se développe à USSON à partir de 1590 ?
Il n’y a pas véritablement de changement de nature entre un Hôtel aristocratique et une Cour princière mais plutôt une évolution numérique de fait.
La Cour se définit par la présence de nombreux courtisans, alors que dans l’Hôtel les effectifs de familiers et de clients sont réduits.
Il est aussi possible de déceler des transformations notables dans la gestion et dans l’administration de l’Hôtel ; la multiplication et la diversification des charges permettent de saisir le subtil passage vers la Cour princière.
Un véritable système curial indépendant du pouvoir central s’installe à USSON, rassemblant tout ce qu’il y a de notables en Auvergne, dans le Rouergue, le Forez, la Marche et le Bourbonnais.
Les livres de comptes de la reine, tenus par le trésorier-receveur de "ses Maisons et Finances" permettent de suivre les aléas des fidélités nobiliaires de la Cour d’USSON.
Tout d’abord formée par des Malcontents [*], la Cour de Margot devient vite le centre de la sociabilité locale et perd toute connotation clairement politique.
Le parti des Malcontents regroupe, lors de la 5e guerre civile (1574-1576), les gentilshommes opposés à la politique d’Henri III. Cette faction, qui s’allie aux Huguenots, dépasse les antagonismes religieux et regroupe, derrière François D'ALENÇON, les nobles catholiques et protestants opposés à un pouvoir royal partisan des catholiques. La conjuration des Malcontents, soutenue par Henri IV, est couronnée de succès par l’Edit de Beaulieu, qui accorde des avantages territoriaux et financiers aux chefs des conjurés, ainsi qu’une liberté de culte presque illimitée aux protestants. Mais cette victoire est éphémère : les concessions de l’Edit de Beaulieu suscitent en retour la constitution de LA SAINTE LIGUE. La réconciliation des Malcontents catholiques avec le roi ainsi que la rivalité entre Condé et Navarre, les chefs des Malcontents protestants, mettent fin au mouvement.
Dans un 1er temps, la forteresse d'USSON est un lieu de refuge pour les anciens affidés du duc D'ALENÇON, comme Jacques de La FIN De La NOCLE, qui entrent au service de la reine en raison des alliances politiques passées entre Marguerite et son frère cadet.
Ces relations ont souvent été nouées de longue date, Jacques de La FIN a notamment fait partie de la conjuration de 1574, qui réunissait des politiques, des Malcontents et des Huguenots, ainsi que le roi et la reine De NAVARRE.
En somme, tous les disgraciés du centre du royaume se tournent désormais vers la reine De NAVARRE, source secondaire de pouvoir certes, mais nettement plus proche que le pouvoir royal délétère.
C’est la proximité qui prime alors sur toute hiérarchie des pouvoirs, et il faut indéniablement reconsidérer le poids du pouvoir local pour bien comprendre les prises de position politiques au temps des guerres de religion.
Finalement, la Cour d’USSON devient le centre de la sociabilité nobiliaire régionale, en rassemblant les plus importantes familles, auvergnate, limousine et forézienne.
Les Ligueurs côtoient dans la maison de la reine des royalistes, concourant ainsi à rétablir la stabilité politique régionale, indépendamment des troubles nationaux.
Jusqu’en 1593, la Maison et la Cour de la reine sont extrêmement réduites, à cause de ses difficultés financières.
Marguerite est même sans revenu de 1586 à 1593, les deux Henri ne lui versant plus ses rentes.
Sa situation financière ne s’améliore véritablement qu’à partir de 1593 lorsque Henri IV souhaite divorcer, mais la reine ne retrouve un train de vie conforme à son rang qu’en 1595.
La Cour d’USSON est une translation locale de l’ancienne Cour royale des VALOIS mais avec un rayonnement social, culturel et politique bien moindre.
Ainsi, l’immense majorité des courtisans sont auvergnats.
Même si l’on retrouve d’anciens membres de la Maison de Marguerite à Paris, comme les CHABANNES-CURTON, les MONTBOISSIER-BEAUFORT-CANILLAC et les LASTIC, la plupart de ses anciens fidèles ne l’ont pas suivie lors de sa fuite de 1586.
La reine est alors contrainte de recruter dans la gentilhommerie locale.
Les offices de sa Maison reprennent l’organisation protocolaire instaurée par Henri III, et ils sont agencés hiérarchiquement en fonction de la proximité physique avec le corps de la reine De NAVARRE : de la dignité de 1ère Dame d’Honneur à celle de palefrenier.
Le chancelier occupe une place centrale car il régit l’administration financière de la reine et il doit à la fois gérer l’absence chronique de revenus et rendre compte au roi des dépenses irraisonnées de Marguerite. Ce service est constitué d’un intendant général des Finances, chef de la liste civile, et d’un contrôleur général, aidé dans sa tâche par plusieurs contrôleurs ordinaires. De nombreux secrétaires, un maître des requêtes de l’hôtel, un procureur général et un solliciteur général complètent la gestion administrative de la Cour de Marguerite. Un conseil de 9 personnes choisi par le roi –7 avocats au Parlement de Paris et 2 procureurs– a la charge, à Paris et à USSON, de surveiller les finances de l’exilée.
Plusieurs personnages se relaient dans la forteresse d'USSON, comme les représentants des parlements des terres de Marguerite et les délégués des sénéchaussées de l’Agenais, du Rouergue, du Quercy et d’Auvergne, qui faisaient partie de sa dot.
USSON n’est donc pas ce désert décrit par BRANTÔME et la reine exilée n’est pas isolée.
Bien au contraire ! Elle entretient d’intenses relations avec la capitale et elle est parfaitement informée de ce qui s’y passe, tout comme elle l’est des événements auvergnats alors même que la forteresse d'USSON demeure en théorie une prison.
La reine bénéficie du puissant réseau d’information mis en place par ses agents dans les différents bailliages et présidiaux provinciaux.
Ainsi, le lieutenant-général de la sénéchaussée de Clermont, SAVARON, se déplace régulièrement à USSON pour rendre compte de la vie clermontoise.
A USSON, le fonctionnement de la Cour est complété par de nombreux officiers d’épée, qui assurent l’organisation judiciaire et militaire de la Maison de la reine.
C’est parmi ces soldats que l’on trouve le plus grand nombre de gentilshommes auvergnats. À leur tête se trouve un chevalier d’Honneur, Jacques De L’HOSPITAL, comte de CHOISY, qui a de nombreux gentilshommes sous ses ordres.
Le 1er gentilhomme de la Chambre de la reine est Jean De LASTIC, l'un des capitaines auvergnats de LA LIGUE.
Il est secondé par des écuyers comme Maximilien De La MER, seigneur de MATHA, dont les possessions foncières encerclent USSON.
1599-1605, une situation apaisée. La cour de la reine douairière de France
Après la mort de sa mère Catherine De MEDICIS, la reine Marguerite De NAVARRE tente de dominer un large espace auvergnat, du Bourbonnais au Velay, et de se réconcilier avec son époux Henri IV.
Pour ce faire, Marguerite compte sur l’héritage de Catherine, la reine-mère, comtesse d’Auvergne par sa mère Madeleine De La TOUR D'AUVERGNE.
Mais, contre toute attente, Catherine transmet ses possessions auvergnates au bâtard légitimé de Charles IX et de Marie Touchet, Charles De VALOIS. L’implantation territoriale de ce dernier est volontairement renforcée par Henri IV, qui le nomme gouverneur d’Auvergne, pour contrecarrer l’influence locale croissante de Marguerite.
Celle-ci tente alors de retrouver ses possessions territoriales.
Pour ce faire, elle utilise Jacques De La FIN, seigneur De La NOCLE, ancien affidé du duc D’ALENÇON, qui a fait le choix de servir Charles De VALOIS.
Pour le récupérer sous son patronage, Marguerite joue sur les animosités familiales entre les lignées du clan MONTBOISSIER-BEAUFORT-CANILLAC.
La FIN, époux de Gilberte de Montboissier, est ennemi de ses cousins de la branche aînée des marquis de CANILLAC, dont Jean V et son fils Jean-Timoléon sont les représentants.
Au cœur du litige se trouve la question de la dévolution d’une des terres patrimoniales du clan, la baronnie de MONTBOISSIER d'Auvergne.
Marguerite renvoie Jean-Timoléon, marquis de CANILLAC, qui avait succédé à son père comme gouverneur d’USSON, et lui retire tous les dons qu’elle avait octroyés à son père lorsqu’elle était sa prisonnière.
En retour, elle achète Jacques De La FIN, agent d’Henri IV et donc bien en Cour, en lui promettant, en tant que suzeraine de la baronnie de MONTBOISSIER, de soutenir sa cause devant le Parlement de Paris.
Marguerite entame une correspondance avec lui, tout d’abord par le biais de sa dame d’Honneur Madame de Frédeville puis personnellement. Il devient son agent, pour négocier les conditions de son divorce.
Les officiers d’USSON servent désormais d’interlocuteurs entre Henri IV et la reine. Les comptes de cette dernière permettent de reconstituer les nombreux voyages des agents de Margot à Paris. On peut suivre les allées et venues des négociateurs de la reine grâce à la correspondance qu’elle entretient avec le roi à partir de 1593, qui n’est en fait qu’un long marchandage.
Le 24 octobre 1599, Henri IV obtient la dissolution de leur mariage – qui a tout de même duré 27 ans – après avoir entamé des négociations à cette fin dès 1592.
Après l’annulation de son mariage et le rétablissement de bonnes relations avec Henri IV, pourquoi Marguerite fait-elle le choix de rester en Auvergne, alors même que le monarque est favorable dès 1599 à son retour à Paris ?
La crainte de voir son neveu Charles De VALOIS entrer définitivement en possession de l’héritage des comtes d’Auvergne, et des liens de fidélité qui en découlent, a sans doute joué un rôle déterminant dans cette décision.
La reine profite de la disgrâce de Charles De VALOIS après la conjuration du duc De BIRON [qui a de nombreuses ramifications auvergnates par l’entremise de la famille De BALZAC D’ENTRAIGUES] et des clauses favorables de son divorce, pour récupérer alors sa puissance patrimoniale en Auvergne et une Maison curiale digne de son rang.
À partir de ce moment, c’est elle qui joue désormais le rôle d’informateur local pour le roi de France.
Les instigateurs du complot, Charles De VALOIS et Charles De GONTAUT, duc De BIRON, se réfugient en Haute-Auvergne, berceau des BALZAC D’ENTRAIGUES, où ils savent pouvoir compter sur l’entraide familiale.
Marguerite active alors le réseau d’information qu’elle a mis en place à partir d’USSON, fondé sur les relations de voisinage des gentilshommes de sa maison et qui fonctionne de proche en proche. Elle peut ainsi dénoncer les menées de Charles De VALOIS, soulever contre lui la noblesse régionale et finalement faire arrêter les conspirateurs.
Marguerite réclame alors au roi le comté d’Auvergne, en paiement de ses services, ce qu’elle obtient devant le Parlement de Paris en 1605.
Désormais, Marguerite, bénéficiant de la dignité de reine douairière et de duchesse De VALOIS, détient le contrôle des autorités locales.
Le roi lui confirme également la jouissance de ses domaines de l’Agenais, du Condomois et du Rouergue. Marguerite, en habile gestionnaire, utilise stratégiquement les membres de sa Cour auvergnate pour gérer au mieux ses terres, tout en préservant la tête des réseaux nobiliaires locaux.
Disposant de nombreuses provisions d’offices en Auvergne, Marguerite De VALOIS retrouve le statut politique d’un grand intermédiaire du pouvoir central.
Princesse suzeraine de la province, elle est parvenue à faire de la forteresse d’USSON un lieu de pouvoir influent à l’échelle du royaume, et c’est pour cela qu’elle ne retourne pas à Paris.
Quartier général des chefs ligueurs, USSON est désormais une Cour florissante, accueillant artistes et écrivains de renom.
Pour s’occuper, Marguerite entreprend la rédaction de ses "Mémoires", qu’elle dédie à Pierre de BOURDEILLE, dit BRANTÔME. Elle lit beaucoup (notamment des ouvrages religieux) et reçoit la visite de grands écrivains, à commencer par le fidèle BRANTÔME, mais aussi Honoré D’URFE qui s’inspire d’elle pour créer le personnage de Galathée dans L’Astrée. Elle reçoit aussi SAINT VIDAL ainsi que Charles De La ROCHE FOUCAULD, comte De RANDAN, commandant de l'Auvergne. Avec un brin d’excentricité aussi ! On raconte qu’elle s’est promenée à dos de chameau dans les ruelles d’USSON.
Le château de LA VERNEDE, dans le village voisin, SAINT-REMY-de-CHARGNAT est le "pavillon" de chasse de Marguerite, reine De NAVARRE.
BESSE est un fief des MEDICIS, par leur parenté avec les La TOUR D'AUVERGNE, mais Marguerite si elle y fut propriétaire d'une maison à escalier à vis, héritage de sa mère, ne vient jamais dans cette ville.
La reine Margot met fin à son exil en Auvergne en 1605 mais de nombreux Auvergnats, comme Jean De LASTIC, la suivent à Paris et son Hôtel devient la transcription parisienne de la cour d’USSON.
L’exemple de l’exil auvergnat de la reine Margot incite à redéfinir la notion de pouvoir local au temps de la construction de l’État et à réévaluer le rôle des principautés territoriales dans un long XVIe, afin de nuancer l’hypothèse de la disparition des principautés au tournant des XVe et XVIe siècles.
Dans quelle mesure la cour d’USSON est-elle une survivance des cours de la fin du Moyen Âge ?
Finalement, c’est l’existence même d’une Cour locale dans le contexte de la construction de l’État administratif qu’il faut souligner. Dans un environnement administratif d’une grande faiblesse, elle joue un rôle capital dans la domination du territoire et la définition du pouvoir local, en mettant en relation des groupes sociaux différents qui ne partagent pas la même conception du pouvoir, question pourtant cruciale au temps de LA LIGUE : domestiques, fidèles, vassaux, bonnes villes.
Que peut leur apporter la reine, en charges et en gratifications ?
Matériellement, peu de choses. Elle n’a aucun revenu jusqu’en 1593 et la plupart des Auvergnats de la Cour d’USSON occupent parallèlement une charge à la Cour royale.
Mais le bénéfice d’être présent ou représenté à USSON est bien réel pour les courtisans, il faut le chercher dans les mécanismes de domination sociale et symbolique instaurés par les nobles auvergnats. La plupart des feudataires de Basse-Auvergne sont "visibles", à USSON, ce qui leur permet de pérenniser leur pouvoir seigneurial en tant que principaux vassaux de la comtesse d’Auvergne, Marguerite De VALOIS.
À ces liens féodo-vassaliques, bien vivaces pour l’ensemble du XVIe, qui confortent les feudataires comme un groupe identitaire supérieur au reste de la société, s’ajoute une tradition de service à la Maison des comtes D’AUVERGNE.
Dans ce contexte, la plupart des serviteurs de Margot ne font que perpétuer une tradition lignagère de double service auprès du souverain mais aussi du suzerain local.
Être à la Cour d’USSON, proche d’une reine, même si elle est en disgrâce, leur permet d’affirmer leur identité noble.
Aujourd'hui le château a disparu, mais l'empreinte de la reine Margot est encore là, en particulier le souvenir de sa générosité pour les plus démunis.
Sur l'émail d'une plaque de lave dressée en son honneur à l'entrée du village, il est écrit :
"Puis la légende s'empara de moi pour l'opprobre ou la passion. Symbole ballotté dans l'histoire de France jusqu'à ne plus me reconnaître, je devins la romanesque Margot victime de la jalousie maladive d'hommes trop lourds des convenances du monde".
Sources:
"Mémoires de Messire Pierre de Bourdeille, seigneur de Brantôme, contenant les anecdotes de la Cour de France, sous les Rois Henri II. François II. Henry III. & IV. Touchant les Duels", Pierre de Bourdeille, seigneur de Brantôme. Ed. par T. Wood & S. Palmer. Londres. 1739.
"Le Divorce Satyrique Ou Les Amours De La Reine Marguerite", Pierre Victor Palma-Cayet et Tallemant Des Réaux. 1878.
"Récits d'un touriste auvergnat", J.-Baptiste-Maurice Bielawski. 1888.
"La vie tragique de la reine Margot", Anne Danclos. Sorlot/Lanore, 1988.
"Le Guide de L'Auvergne Mystérieuse", Annette Lauras-Pourrat.